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Balade au bout du Monde
17 janvier 2007

1.f. Les quartiers spontanés

Mise en ligne du message: me 17 janvier 2007, 19h30
Mise en ligne de l'album 1.08: me 17 janvier 2007, 19h30

Samedi 7 octobre 2006. Je me lève péniblement vers 8h30, après quatre petites heures de sommeil. Il faut dire que la fête a battu son plein, hier, au Del Carajo! (album 1.05). Le départ du "Mirabus" est fixé à 9h30, pour trois heures assez longuettes de déambulations à travers la ville. Une piqûre de rappel de toutes les images emmagasinées depuis mon arrivée, en quelque sorte, où l'inédit se fait rare. Mais je suis loin de me douter de ce qui m'attend dans les heures à venir...

A mon retour chez Ursula, je retrouve Jessica en compagnie de Mario, un ami travaillant pour la municipalité de Lima. C'est un homme d'une quarantaine d'années, très charismatique, et avec qui j'ai immédiatement un excellent contact, malgré nos difficultés de compréhension réciproques. Nous partons bientôt pour le port de pêche traditionnelle, où Mario a semble-t-il une réunion de travail dont je ne connais pas la teneur. Après le petit tour en bateau qui donnera l'album 1.03, quelques pêcheurs nous rejoignent sur le quai. L'un d'entre eux ne me quitte pas d'une semelle, et il me faut quelques minutes pour comprendre le rôle de protecteur qu'il s'est attribué, indiquant tacitement à la ronde mon statut d'invité, et non pas de touriste égaré. Une grande tablée nous attend, et je saisis bientôt l'enjeu de cette réunion, aidé par le résumé de Mario et la traduction de Jessica.

Les personnes présentes sont en fait les représentants de 15 quartiers formant Chorrillos, un bidonville fondé le 1er janvier 1999 et situé comme beaucoup d'autres à flanc des collines de terre entourant Lima. Les bidonvilles, ou "quartiers spontanés" (selon la dénomination officielle des Nations Unies) se distinguent par le fait qu'il se construisent de facon sauvage dans des zones non cadastrées et sans planification urbanistique préalable. Aujourd'hui, Chorrillos regroupe plus de 5'000 habitants, soit la population d'une ville comme Romont, ou trois fois celle de villages comme Neyruz, Hauterive ou encore Farvagny. Au total, on estime à 350'000 (soit la population de... Zurich, plus grande ville suisse) le nombre de Péruviens ayant gonflé les chiffres de l'exode rural par leur migration vers la capitale, à la recherche d'une vie meilleure, en même temps que ceux de ces quartiers spontanés dépourvus de statut légal.

Et c'est dans ces derniers mots que se trouvent tout l'enjeu dont je parlais un peu plus haut: la régularisation d'une situation tolérée mais pas moins illégale, sans laquelle l'accès à la plupart des services publics et aménagements urbains est impossible: installation d'égouts, revêtement des chaussées, mise en place d'un service de voirie, ou encore desserte en eau courante et en électricité. Mais la bénédiction municipale et l'obtention du titre de propriété tant espéré restent suspendues au respect de certaines normes, au premier chef desquelles la sécurité: construction de murs de protection, de voies d'accès sécurisées, etc. C'est sur ce point que des organisations humanitaires comme EcoPro, au sein de laquelle travaille Jessica, peuvent intervenir, par l'apport de moyens logistiques et/ou financiers.

Après quelques palabres et une collation aux allures de festin (ceviche, poisson frit et soupe de crabe, que j'avais presque mauvaise conscience à déguster), sans oublier une séance de photo-portraits à laquelle chacun se prête avec bonne humeur, nous partons pour une visite informelle et improvisée de Chorrillos, à la nuit tombante. Mes battements de coeur s'accélèrent à mesure que notre modeste véhicule tente péniblement d'accéder aux hauts quartiers (géographiquement parlant...) de Lima. Je crois qu'à partir de ce moment, un long frisson parcourera mon échine pendant les deux heures que dureront mon incursion dans ce qu'il convient d'appeler un autre monde. Les photos (dont vous trouverez un apercu dans l'album 1.08), que l'on m'encourage à faire en guise de témoignage et en vue de la constitution d'un dossier pour EcoPro, parlent d'elles-mêmes, mais ne sauraient rendre l'indicible sensation de se retrouver derrière l'objectif, voyeur autorisé d'une bien triste réalité. Ici, des enfants accourent en me gratifiant de leur plus beau sourire; là, un des chefs de quartier me présente avec fierté sa famille et les tôles qui leur tiennent lieu de maison; un peu plus loin, des adolescents pratiquent leur sport favori sur un terrain de fortune ("le match s'arrête quand il n'y a plus de ballon!", me lance un accompagnant rigolard, en pointant du doigt le ravin longeant la place de jeu); juste à côté, un camion-citerne remplit le réservoir public d'une eau contaminée pourtant payée au prix fort, sans que personne n'y puisse rien. Nous voilà bientôt emmenés au sein de la fête d'anniversaire d'une fillette du village, où je ne manque d'ailleurs pas de m'illustrer (cela n'étonnera pas grand monde) en intégrant avec enthousiasme la ronde dansante des petits péruviens présents.

Le trajet du retour se fera dans un silence quasi-religieux, le temps de digérer les événements d'un après-midi un peu irréel et d'encaisser le véritable choc émotionnel que ceux-ci ont provoqué. Il me faudra ce soir-là passablement d'abnégation pour ingurgiter le pourtant excellent repas concocté par Agnes, la faute à un estomac encore tout retourné par les péripéties du jour.

Samedi 14 octobre: rebelote. Mais cette fois-ci, la visite est officielle, un sociologue de la municipalité et deux représentants d'une organisation humanitaire espagnole accompagnant désormais Mario et Jessica. Et l'un des chefs de quartier de s'exclamer, au moment des présentations, juste après que Jessica ait précisé que je ne parlais pas espagnol: "pero baila!" ("mais il danse!"), dans l'hilarité générale :-). Ces gens n'ont manifestement pas perdu leur sens de l'humour! De mon côté, je me vois appuyé dans mon travail de photographe par Isabel (dont je vous ai déjà parlé dans l'album 1.06), arrivée entretemps à Lima en tant que volontaire pour un autre projet EcoPro au nord du Pérou. Une présence occidentale remarquée et suscitant des espoirs bien difficiles à assumer.

La situation semble avoir évolué dans le bon sens en une semaine, cela dit, et le message des autorités se veut optimiste... et motivateur, Mario martelant à qui veut l'entendre que rien ne pourra se faire sans la participation active des habitants eux-mêmes. La confiance est cependant de mise à ce sujet, la communauté et leurs représentants ayant fait montre à maintes reprises de leur détermination à coopérer étroitement avec la municipalité, en vue de l'amélioration de leurs conditions de vie, bien conscients que droits et devoirs sont étroitement liés.

Nous faisons ainsi le tour des différents quartiers, gratifiés à chaque fois d'une collation de bon aloi, jusqu'à ce qu'il convient d'appeler la "cérémonie officielle". Je pensais avoir atteint mes limites émotionnelles en prenant la parole à la demande de Jessica, d'une voix étranglée que même mes tout premiers étudiants n'ont jamais eu l'occasion d'entendre. C'était compter sans les demandes successives de trois jeunes femmes, à Isabel et moi-même, de devenir respectivement la marraine et le parrain de leurs bébés...! Une démarche à caractère avant tout symbolique (pas de jalousie, Nathan, tu restes mon filleul préféré! ;-)), sans doute, mais qui est évidemment loin de nous laisser e marbre. Notre accord timide est bientôt entériné, sous les applaudissements nourris de l'assistance. Une conclusion à la mesure de ces deux journées incroyables dont le souvenir restera à jamais gravé dans ma mémoire.

Liens

  • Blog d'Isabel: pour en savoir plus sur son voyage et sur son travail de volontariat au nord du Pérou

  • Blog d'EcoPro: pour en savoir plus sur les activités de cette organisation humanitaire suisse

P.S. Je me trouve actuellement à Bariloche (dans la région des lacs, en Argentine), après avoir quitté un Chili  m'ayant globalement porté la poisse, exception (notable) faite de l'Ile de Pâques, tout simplement magique! La ville est agréable et très animée, en tant que destination touristique privilégiée des Argentins. Trek de trois jours dès demain dans les montagnes environnantes (avec Isabel, que le hasard a mise une dernière fois sur ma route avant son retour en Suisse, la semaine prochaine), avant de poursuivre mon bonhomme de chemin plus au sud, à la découverte de la Patagonie.

P.S. Il faudra vous satisfaire d'un seul nouveau chapitre, au lieu des deux promis (l'autre est en bonne voie). Car en plantant ma tente dans le jardin de Nelly, ici à Bariloche, je suis tombé sur une joyeuse ribambelle d'Argentins, jamais en rade quand il s'agit de faire la fête. Mes capacités rédactionnelles (qui laissaient déjà à désirer) en ont quelque peu souffert (retour dans ma modeste pénate à 7h30 ce matin...). :-p

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Commentaires
D
Salut le grand voyageur, <br /> <br /> Désolé de ne pas donner plus souvent de mes nouvelles mais je te suis souvent sur ton blog, qui est fort intéressant. J'ai même l'impression de le faire moi-même... grâce également aux magnifiques photos.<br /> <br /> Et dire que septembre arrivre tout bientôt pour mettre fin à ton tour du monde. En tout cas on ne peut pas dire que tu regrettes ce voyage !!!! <br /> <br /> C'est bien sympa de nous avoir fait partager des petites aventures dans tous ces pays dans lesquels on ne va vraiment pas tous les jours.<br /> Bon sur je te souhaite un bon fin de séjour et à la prochaine sur les ondes. <br /> <br /> N'abuse quand même pas trop de ton statut de célibataire.... <br /> A la prochaine.
C
Merci Frank de nous faire partager tes découvertes, tes rencontres et tes émotions, peu importe - en ce qui me concerne - qu'elles nous arrivent avec quelque décalage temporel! L'essentiel étant, selon moi, que tu nous gardes une petite place dans cette grande et forte Aventure!<br /> Bonne continuation et à bientôt!<br /> "Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas." (Lao Tseu)
L
"LE" Photographe, Didier Lefevre est mort!
S
Salut Frank <br /> <br /> Et bien... un reportage datant de 3 mois! ... et quel sujet! Je vois que tu n'es pas fait pour une carrière dans la presse people ;-) !<br /> <br /> Par contre, c'était 4 jours après ton départ... quel choc !!! Enfin... <br /> <br /> De notre côté, nous voilà de retour du Myanmar avec juste ce commentaire pour l'instant: tu vas adorer! Et tu auras la chance d'y être durant la saison des pluies...<br /> <br /> Plus de détails (avec des bonnes adresses) suivront sur mon site (d'ici 3 mois peut-être, hahaha)! <br /> <br /> Excellente Patagonie et bonne suite à toi! <br /> Stephan
F
Pour être franc, je suis loin d'être satisfait de ma dernière prose, mais vu 1) que tout le monde me réclame du neuf 2) que le temps que j'ai à disposition pour écrire diminue comme peau de chagrin 3) et que j'ai quand même l'intention de rattraper progressivement mon retard, il me faut bien mettre les bouchées doubles! Je peaufinerai tout ca à mon retour ;-).<br /> <br /> Et sache que pour des raisons logiques et pratiques, j'ai décidé de narrer chronologiquement mes aventures. Un peu de patience donc, d'autant plus que j'ai encore pas mal à dire sur le Pérou et la Bolivie, dont je suis tombé amoureux. De l'Ile de Pâques aussi d'ailleurs (un vrai coeur d'artichaud). Pour le Chili continental, ca ira par contre beaucoup plus vite ;-).<br /> <br /> Concernant les accents, c'est assez aléatoire, mais ca peut se trouver, oui. A l'instant, je fonctionne par copier-coller :-o.<br /> <br /> A bientôt!
Balade au bout du Monde
  • Mes pérégrinations autour de notre bonne vieille Terre, avec en point de mire la découverte des pays suivants: Pérou, Bolivie, Chili (+ Ile de Pâques), Argentine, Mexique, Etats-Unis (NY et SF), Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, Myanmar, et Inde.
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